Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

samedi 23 octobre 2010

Orphée alm




Ecoutez…. un enfant chante… ; un enfant chante et ses nourrices, attentives, l’écoutent ; un enfant chante et les serviteurs, charmés, cessent leurs allées et venues ; un enfant chante et sa mère, qui compose un discours, lève la tête et écoute ; un enfant chante et les animaux familiers, les autres aussi, approchent ; les souris montrent le nez au bord de leur trou, les araignées descendent le long du fil ; et voici la basse-cour, les vaches, les chèvres, les cochons, les ânes… De plus loin arrive autour de la demeure, la sauvagine, les renards, les biches, les ours, les loups, les lions ; tous font cercle autour de l’enfant… jusqu’aux arbres qui secouent leurs racines et tendent vers lui leurs branches et vers lui les montagnes voisines laissent rouler leurs rochers.
Son père, Olagre, roi de Thrace qui ne l’aime pas beaucoup car il n’est pas certain que cet enfant soit son fils, Olagre lui sourit. Et le grand Apollon depuis l’Olympe, se penche sur cet enfant qu’il a comblé de dons : le talent, la beauté, la sagesse, la lyre aussi, la lyre à sept cordes qui accompagne le chant du garçon. Il se nomme Orphée.
Orphée grandit enseigné par les Muses et c’est en leur honneur qu’un jour il ajoutera deux cordes à sa lyre . Il grandit et le temps venu, avec sa lyre pour seul bagage, il s’en fut par le monde pour découvrir d’autres pays, d’autres histoires, d’autres musiques. Il s’en alla dit-on jusqu’en Egypte ; il rencontra là-bas les prêtres d’Osiris. Encore plus loin, on lui apprit que certains peuples n’avaient qu’un seul dieu ; d’autres encore haïssaient la violence, les sacrifices sanglants, refusaient de se nourrir de chair.
Sur sa route, il rencontra Jason ; Jason qui armait un navire pour aller en Colchide s’emparer de la Toison d’Or. Il avait avec lui les plus fameux héros de la Grèce ; ils étaient cinquante, les Argonautes. On ne peut pas les citer tous mais parmi eux se trouvait le formidable Hercule, et Palamède et les jumeaux divins Castor et Pollux et Atalante l’amazone, la chasseresse, la seule femme de l’équipage.
Qu’avaient donc à faire ces guerriers, d’un poète, d’un musicien qui n’avait pour toute arme que sa lyre ? Quelle était sur le navire Argos, la place d’Orphée ? Sur ce navire Argos qui justement, refusait de prendre la mer. Le bois dont il était fait, voyez-vous, regrettait sa forêt. Cinquante héros en vain conjuguaient leurs efforts, le navire refusait de bouger.
Orphée prit sa lyre et depuis une falaise qui regardait Argos, il entonna un chant. Les arbres alors acceptant le sacrifice, les voiles frémirent, les cordages tremblèrent, la nef glissa sur la mer ; les cinquante n’eurent que le temps de sauter dans des chaloupes, de nager, pour regagner le bord ; avec eux embarqua Orphée. C’est lui aussi qui, dans le danger pressant rythma la cadence et fit accélérer les rameurs ; lui qui en Colchide, endormit le dragon qui gardait la Toison ; son chant encore, fit taire les Sirènes dont la voix entraîne les matelots au fond des eaux, et de tout l’équipage, un seul homme disparut.
Un jour, lassé des aventures, Orphée rentra dans son pays et retourna chanter dans la campagne. Les Dryades, des feuilles de chêne ornant leurs cheveux, venaient danser près de lui. L’une d’elles, Eurydice lui plut ; elle aussi l’aimait, ils s’épousèrent. Mais un autre homme aimait la nymphe : Aristée le berger. Partout il la poursuivait ; et c’est en s’enfuyant qu’un mauvais jour, Eurydice ne vit pas un serpent qui dormait dans l’herbe ; un morsure au mollet l’envoya aux Enfers.
Orphée en fut au désespoir. Comment vivre sans Eurydice ?
Le poète alors résolut de tenter ce qu’aucun mortel n’avait encore osé :s’en aller chez Hadès, réclamer son épouse. Armé de sa lyre, il fit route vers l’Averne. Les pierres noires qui ferment l’entrée du gouffre s’écartèrent aux premières notes. Orphée chanta pour Charon qui le prit sur sa barque et les damnés furent pour un temps délivrés de leur supplice ; Tantale en oublie la soif et la faim, les Danaïdes posent leur seau et pour un moment, la roue d’Ixion cesse de tourner. L’affreux Cerbère, mâté vient poser ses trois têtes sur les deux genoux du chanteur.
Et le voilà devant le sombre, le terrible Hadès : que vient-il faire ici, lui, le vivant, comment a-t-il osé ?
Alors il chante, Orphée, il chante sa passion pour Eurydice, qu’il n’a pas eu le temps d’aimer ; en musique, il pleure, il supplie qu’on lui rende son épouse.
Impossible, répond le Maître des Enfers.
Orphée reprend sa lyre et chante encore cet amour trop bref, la jeunesse de son épouse ; qu’on la lui rende le temps de vieillir ensemble.
Proserpine est émue : elle sait ce qu’est l’amour, elle, la fille des moissons qui a accepté de passer la moitié de l’année sous terre pour vivre avec Hadès. Elle plaide, elle intercède et le dieu sombre s’attendrit ; lui aussi a du lutter pour conquérir la fille de Cérès. Ils s’aiment, les deux infernaux. Et tout l’Enfer s’émeut ; les Eumènides même, les implacables Eumènides ont les yeux humides.
Il a gagné, Orphée ; Hadès cède. Eurydice reverra le soleil et le ciel et la nuit étoilée, mais à une condition : sur le chemin qui mène à la lumière, et il est long, Orphée ne devra ni parler à son épouse, ni se retourner pour la regarder.
Comme c’est simple ! Il s’en retourne le poète, suivi de son amour. Et il chante pour Cerbère et il chante pour Charon et les damnés sont encore un instant soulagés. Les amants remontent vers le jour, mais un doute saisit Orphée : il sait que les dieux aiment à se jouer des mortels. Comment savoir si Eurydice est bien derrière lui ? Oh, comme il voudrait s’en assurer, lui parler, la regarder… Mais il résiste ; il craint trop de la perdre.
Et puis voici le jour, l’entrée de la caverne, le soleil, il est dehors… Eurydice est sauvée… il peut enfin se retourner… Mais la nymphe n’a pas encore franchi le seuil… elle tend les bras vers lui, l’appelle… Hélas ! sa voix se perd dans la brume où Orphée voit s’effacer la silhouette de son amour… Il court vers elle mais les lourdes pierres se referment ; il s’use les mains à cogner, à frapper ; il prend sa lyre mais cette fois sa musique est sans effet. Effondré devant l’entrée des Enfers, Orphée pleure.
Il va pleurer encore, sept ans, sept mois et sept jours au bord du fleuve Strymon ; les femmes de Thrace en vain, tentent de le consoler : Orphée ne peut aimer qu’Eurydice. En attendant de la rejoindre, aucune autre ne pourra l’approcher. C’est dans la solitude glacée du mont Rhodope qu’il va trouver refuge, entouré d’animaux et de jeunes garçons, seul humains qu’il laisse approcher. Il leur apprend la musique, la poésie et leur transmet les enseignements qu’il a reçu au cours de ses voyages. Son chant est devenu si triste qu’il fait pleurer dit-on les tigres et les lions ; les montagnes en ruissellent de sources.
Mais une compagne d’Eurydice, Aglaonice, haïssait Orphée qui lui avait pris son amie et l’avait laissée mourir. Pis encore, Orphée l’avait repoussée. Aglaonice servait Dyonisos ; un soir d’orgie, ivre de vin et d’autres substances, suivie d’une horde de Bacchantes vêtues de peaux de renards et couronnées de pampres, elle voulut se joindre aux jeunes gens. Orphée les renvoya ; alors la horde furieuse, mit l’assemblée en fuite, se jeta sur Orphée, lui arracha sa lyre. Le poète , radieux, sut qu’il allait mourir ; enfin il allait rejoindre sa bien-aimée.
C’est en chantant son nom qu’il se laissa mettre en pièces. Sa tête arrachée roula dans le fleuve et ses lèvres mortes hurlaient encore le nom d’Eurydice ; sa lyre bientôt le rejoignit . Emportées par les flots, elles voguèrent de vague en vague jusqu’à l’île de Lesbos où les poètes lui élevèrent un tombeau.
Les Muses en larmes, rassemblèrent les membres épars et les ensevelirent au pied du mont Olympe où depuis le chant du rossignol est bien plus beau qu’ailleurs.
Apollon prit la lyre et l’envoya rejoindre les étoiles.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Aujourd'hui, les doigts n'ont plus le courage de leurs bras, et la lyre reste muette, face au manque d'amour que les divorces emprisonnent sous tant de consommations sexuelles; pour une soif, une faim insatiable de renouvellement de chaires fraîches. Cuisses et seins éparpillés dans une troupe de jalousie qui étouffe le son du verbe aimer.
Merci pour vos lignes.
Didier

P a dit…

Vous tombez bien dans un matin où justement, les bras me tombent un peu.
Et vous me donnez le courage de les relever, de mettre mes doigts au bout pour vous rappeler que ce n'est pas pour rien que l'amour est figuré par deux personnages:
Cupidon le fils d'Aphrodite, ce jeune inconscient qui les yeux bandés tire au hasard des flèches d'or ou de plomb et qui provoque les dégâts que vous évoquez.
L'autre est Eros le puissant, né avec l'univers et dont l'énergie nous anime, nous pousse à créer.
Celui-là, quand il fait se rejoindre deux êtres, c'est par l'esprit qu'ils sont unis; les corps comptent pour peu de chose et l'amour engendré ne peut se dissoudre. C'est l'amour d'Héloïse pour Abélard, de Claire pour François d'Assise... c'est un amour rare... qu'il faut chercher sans fin tant qu'on ne l'a pas trouvé.
.

Anonyme a dit…

Si je me souviens, la fin est douloureuse. L'homme n'a pas de courage d'aller contre le clergé.Leur amour n'est pas terrien.Quel destin de compréhension intérieure, mais lui ne supporte pas la liberté intérieure supérieure du féminin. Ces hommes quand-même!

Les Chouchous