Insensé celui qui somme le rêve de s'expliquer - Jean RAY - Malpertuis

mercredi 21 octobre 2009

conte de la pluie et du temps (6)

Dans ce « conte », pour libérer Geneviève, la voici cette fois, célibataire fortunée; dans une première version, elle se disait veuve.
Elle est née riche, mais elle soupçonne que sa dot et la fortune dont elle devait hériter n’avaient pas été étrangères à l’attrait exercé sur son futur époux. Mirage de richesse emporté avec l’amour auquel elle croyait avoir droit: une dot partie en fumée dans le sillage d’un banquier véreux , un héritage composé d’arpents neigeux loin dans le nord de l’Europe, et d’ « âmes » , héritage en fait irréalisable puisque devenue française par son mariage, l’abolition de l’esclavage lui interdisait de posséder et à fortiori de négocier, l’eût-elle toléré, des serfs. Finalement, l’argent qui lui est revenu , était passé tout entier sous la gestion de son mari…, femme,… éternelle mineure….!
Sophie n’échappera pas à l’humiliation de voir sa belle-mère et son mari revenir à la charge encore et encore, allant jusqu’à réclamer au tsar le règlement de sa dot. Jamais jusqu’alors elle n’avait connu de problèmes d’argent. Trop généreuse, en outre pour prendre vraiment conscience qu’Eugène est, pour sa part, peu fortuné et que la quasi oisiveté dans laquelle il vit, n’arrange rien. Comment imaginer que son mari puisse la négliger pour 38000 roubles de dot, engloutis dans la faillite du banquier de son père! Elle aura toujours une grande affection pour le seul des Ségur à se montrer gentilhomme, le grand-père Philippe qui lui dira : « Eh bien Sophie, nous avons perdu la dot, mais nous gardons le trésor… »
Les hommes, quand on les rencontre,dans ses romans, s’il ne sont pas morts « en braves » ou disparus chez les sauvages, travaillent peu, à l’instar de son mari. Et plus on descend dans l’échelle sociale, plus ils travaillent: les maris des aristocrates peuvent être marins ou militaires; Dormère, le tuteur, qui n’a pas de particule « fait des affaires » à Paris; Charles Mc Lance, l’ex Bon Petit Diable est gentleman farmer ; Georgey, l’autre anglais crée des entreprises ; Gaspard, Féréor et Frölichein sont industriels, Bonnard et Thomas, fermiers ; Blaise est jardinier, Jean garçon de café, Hilaire domestique ; quant à Gribouille… il est juste bon à recevoir la balle mortelle destinée à un gendarme.
Les femmes, pour leur part, ne travaillent jamais ; ou alors, comme Mlles Tomme et Rondeau, ce sont des déclassées; elles sont institutrices, c’est à dire à peine mieux qu’une domestique. Les autres, comme Azéma et Pélagie, sont bonnes, ou fermières comme Madame Bonard. La seule à posséder un vrai métier, Caroline, la sœur de Gribouille, qui est couturière, devra se faire femme de chambre pour survivre.
Sophie de Ségur pour sa part, prétend écrire pour ses petits-enfants et non pour s’évader du carcan familial, ce qui aurait fait scandale tout autant qu’avouer son besoin d’argent. Eugène de Ségur pourtant, n’était pas le pire des maris, puisque après ses premiers succès, il avait accepté de l’émanciper afin qu’elle puisse disposer de ses gains comme bon lui semblait.
Il est vrai qu’à Paris, le comte de Ségur, s’il travaille peu, dépense beaucoup. Après avoir lutté pour imposer à sa femme une vie mondaine et parisienne, il finit par n’être pas mécontent de l’avoir à la campagne exerçant une activité compatible avec son rang et quelque peu lucrative. Le 19° siècle est misogyne ; une femme qui fait carrière fait scandale ; en revanche, écrire pour les enfants ne peut être qu’une occupation convenable. En aucun cas il ne peut s’agir d’un métier, encore moins de littérature !

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